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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

culation, chaque maison de coulisse servait gratuitement un journal aux capitalistes de province pour les renseigner et les tenter. À ces organes spéciaux, les financiers préféraient la presse politique qui est en contact quotidien avec un public qu’elle passionne. De là, ces feuilles qui pullulaient et dont quelques-unes firent de vraies fortunes. Les émissions les nourrissaient. Sans doute, le krach de juin 1882 a, depuis deux ans, suspendu ces ressources et, précisément, déterminé la décadence de la Vraie République ; mais, dans le milieu de l’année 1884, et quand les plus habiles annoncent tous les jours une reprise, Racadot est excusable de ne pas reconnaître cette mort du marché. Il se sent capable d’un effort auquel tout devrait céder, — l’effort d’un pauvre ; — et, de fait, il témoigna, à comprendre et utiliser chaque situation, une volonté et une promptitude telles que la fortune eût été séduite si l’intensité pouvait suppléer à la continuité. Il montra le dur génie du gendarme lorrain, fameux durant des siècles de misère et de discipline et que d’injustes ennemis définissaient : « Lorrain, mangeur de boudin, traître à Dieu et à son prochain… »

Dans la suite, plutôt que de faillir à leurs espérances, Racadot, Mouchefrin et la Léontine pourront trahir les lois divines et humaines ; dès maintenant, dans le bureau de la rue du Croissant, en hâte ils déjeunent d’un morceau de charcuterie. La convention est signée ; ils ont un délai de six semaines avant l’entrée en possession, pour se mettre au courant. Racadot apprend la typographie en causant avec le metteur en pages qui se vante et déclare, la main sur la poitrine :