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LES DÉRACINÉS

pacher, Saint-Phlin, Sturel, ce Bidel fut magnifique d’émotion sincère, de déférence, de générosité. Il mettait le journal la Vraie République à la disposition de ses amis : il les reconnaissait plus intelligents et mieux favorisés que lui par la naissance ; mais il en attendait un appui fraternel. Sur ses ressources, de quelque façon qu’on le poussât, il fut bref. Il avait fait son héritage et le risquait, parce qu’« après la visite au Tombeau de Napoléon, il avait foi dans ses vieux camarades… »

— Et puis, on doit gagner de l’argent !

Avec Mouchefrin, il passa dans la petite salle de la rue de l’Odéon, pour laisser leurs amis délibérer. Ceux-ci pressèrent Renaudin de questions. Fallait-il s’engager là-dedans ? Racadot refusait de s’expliquer sur ses fonds : en avait-il ? et d’où ?

— C’est son affaire, dit Renaudin. Il ne vous demande aucun sacrifice : qu’est-ce que vous aventurez ?… Il me tâtait, me pressait, depuis le soir où j’ai invité Rœmerspacher à écrire dans la Vraie République. J’ai servi d’intermédiaire. On lui donnera le journal en location pour 750 francs par mois ; au bout de trois ans, il deviendra sa propriété. Ainsi, pas de capital à avancer. Je vois, d’ailleurs, à ce brave Racadot, un joli génie ; je le guide : bientôt il me dépassera. Pour la rédaction, tout de suite il m’a dit : « Je ne paierai pas ; « pour la composition, loin de s’adresser à des ouvriers syndiqués, il emploiera des femmes ; ne se proposant pas de faire un journal d’informations, il évitera à peu près le travail de nuit : une colonne de nouvelles en dernière heure lui suffira. Enfin, il se charge de l’administration avec le concours d’un meurt-de-faim que Portalis a chassé