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BOUTEILLER PRÉSENTÉ AUX PARLEMENTAIRES

On pourrait croire que certaines vulgarités, certains cynismes dans cette fête ont choqué Bouteiller, le kantien austère. Mais ses passions y furent satisfaites et excitées : son goût du pouvoir, et son envie sociale. À l’avance il s’était solidarisé avec le personnel parlementaire ; il ne le met plus en question. C’est avec émotion qu’il a franchi jadis le seuil de Gambetta ; dans un sentiment analogue, et même avec une généreuse fraternité qui secrètement lui échauffait l’âme, il a serré tout à l’heure la main de ces journalistes, de ces députés, dont tous les actes, depuis longtemps, lui sont familiers. Et puis, au cours de cette soirée, il a cru discerner que, dans un tel milieu, il dominera aisément. Cette certitude qui apparaissait dans toute sa manière a légèrement prévenu ce public contre un personnage si neuf ; mais lui, tout incapable d’amitiés et de haines particulières, et pour qui les individus ne valent que par le groupe où ils font nombre, il n’a discerné aucune nuance d’antipathie sur ces nouvelles figures. En regagnant à pied son logis de la rive gauche, il évoque tour à tour chacune d’elles avec plus de sympathie qu’il n’a jamais fait pour aucune unité humaine. Ce conscrit voue à son régiment les sentiments d’un jeune colonel qui vient de saluer son drapeau, ses soldats, c’est-à-dire les outils de son œuvre future.