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LES DÉRACINÉS

le poil dur, avec l’expression des gens qui pensent à leur argent et sauraient le défendre.

Trois banquiers enfin. — L’un d’origine étrangère, lettré, aimable et joli homme. Considérant qu’à Paris le pourboire, jadis de bon plaisir, est devenu une obligation envers les cochers de fiacre, il jugea équitable que le pot-de-vin, pourboire des classes supérieures, suivit la même évolution. Il le reconnut comme un droit aux cochers du char de l’État. Ces messieurs furent tentés de lui imposer leurs services qu’il rémunérait si galamment : certains mélomanes, excités par la réputation qu’a le cygne de prodiguer ses meilleurs accents à l’heure du trépas, se laissent parfois entraîner à serrer un peu plus fort la gorge de ce palmipède. — Mieux gardé en apparence contre les solliciteurs, le second est un financier jadis associé aux travaux de l’Empire ; en homme solide qui ne se perd pas en intrigues, mais accapare les forces existantes, il s’est donné à Gambetta et à l’opportunisme, comme il faut se donner, en le prenant. — Le troisième banquier, personne ne le traite avec familiarité. Il se distingue de ses deux collègues en ce que ses combinaisons sont exclusivement financières. Il agit par le poids des intérêts qu’il syndique, sans avoir à marchander des complices. De là sa puissance : les deux autres peuvent bien tenir trente-six secrets ; précisément, l’avantage qu’ils ont à maintenir leurs hommes au pouvoir les lie à ce régime ; en l’effondrant, ils se précipiteraient. Ce financier-là, juif lui aussi, et venu d’Allemagne, ne s’intéresse pas au détail de la politique intérieure, mais seulement aux rapports des États entre eux. S’il n’était, par caractère, détaché de toute préférence de régime et, d’ail-