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BOUTEILLER PRÉSENTÉ AUX PARLEMENTAIRES

Dans son hôtel de la rue Murillo, le baron, ce soir, réunit à sa table quelques-uns des sujets importants de sa collection parlementaire :

Un sénateur, disert et aimable économiste qui porte dans le monde les rabâchages agréables, l’ironie d’intention supérieure du Journal des Débats, sans mélange de ton aigre.

Le directeur d’un grand journal gouvernemental, farceur merveilleux, de verve un peu vulgaire, mais attrayant par sa bonne grâce et surtout par cette mélancolie indéfinissable des vieux parapluies que leurs longs services bientôt feront déclarer impossibles.

Cinq ou six politiciens, ministres, anciens ministres ou ministrables, figures fermées, masques énergiques. Ce qui frappe ce n’est point leur air endimanché : ils le sauvent par le négligé même de leur tenue, ou se trahit leur complète indifférence à toutes les séductions de vestiaire ; mais, dépourvus de la frivolité ou de la résignation des mondains, ils ont dans les premières minutes du repas l’air boudeur, isolé, voire brutal d’un voyageur qui, s’asseyant à table d’hôte, vérifie d’abord son assiette, sa fourchette, son verre, fait jouer sa chaise et ses bras. Un membre du Parlement anglais, incompréhensible comme tous les étrangers, et qui, d’ailleurs, n’essayant même pas de comprendre ce milieu, pense à ses intérêts d’Angleterre et à la qualité du vin qu’on lui versera.

Deux peintres, qu’on peut sans ridicule appeler « mon cher maître ».

Un grand entrepreneur, apoplectique, réservé et