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LES DÉRACINÉS

merspacher, un Sturel : il en va ainsi de tout groupement.

C’est un grand problème de s’expliquer pourquoi de jeunes bacheliers français, ayant pour tout lien, pour religion, des ardeurs qu’ils assemblent sur le nom de Bonaparte, en arrivent à concevoir qu’ils doivent fonder un journal. Il y aura, sans doute, des époques où de tels raisonnements et de telles destinées seront incompréhensibles. Mais, en 1884, leur raisonnement est banal ; leur destinée fréquente. Il faut voir chacun d’eux comme un vaisseau avec son éperon qui se fait sa route. Tout était préordonné de façon que le journalisme devait être leur voie tracée. C’est pour eux la ligne de moindre résistance. Ce n’est point son génie littéraire ou sa force prosélytique qui ont mené ce Racadot, parmi les immenses territoires de l’activité parisienne, vers ces régions du journalisme. Il veut vivre. Comme un animal qui va de lui-même où se trouvent amassés ses éléments de nutrition, — et tel que l’ont fait son exil, Bouteiller, le prolétariat des bacheliers et le rayonnement de Cosserat, — il va devenir publiciste.

Encore ceux-là, Racadot, Mouchefrin, sont-ils affamés d’argent ; mais le but de leurs amis ? Ils vont batailler pour rien, pour le plaisir… Eh quoi ! ce sont de jeunes Français. Des animaux d’une espèce particulière ; non pas des Slaves, ni des Anglo-Saxons : des chevaliers, des gentilshommes, des amateurs d’aventures glorieuses engagées avec frivolité.

Admirable spectacle, ces enfants fiévreux assemblés dans la tombe du plus formidable des aventuriers.