Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
ON SORT DU TOMBEAU COMME ON PEUT

bourgeoisie française, même libérale, même républicaine, comme ennemi de la grande personnalité et de la grande liberté.

— Ce qui te mène à quelle conclusion pratique ?

— Mon cher Suret-Lefort, intervint Rœmerspacher, écartons d’ici le verbalisme politique. Le but de cet entente n’est point que nous adoptions un des partis, — conservateur, radical, opportuniste, — mais que nous décidions, en haine d’une destinée médiocre, quelque action commune. Au reste, tu sais combien Sturel est impatient de toute entrave : il aime la liberté, mais il possède aussi l’amour spécial aux natures élevées pour la grandeur humaine et l’horreur nerveuse propre aux natures délicates pour tout régime de médiocrité. Je crois connaître les tempéraments : je juge son sang plus révolutionnaire que celui de tes veines, mais il veut voir le génie reconnu comme guide souverain.

— Pour que nous nous consacrions à la réforme économique intégrale, je vois une objection, — dit Saint-Phlin, qui gardait un malaise des mots haineux de Mouchefrin contre la société. — Les formes qu’il faudrait abolir sont encore puissantes chez quelques-uns d’entre nous ; c’est un homme réellement incapable de respecter, voire de sentir les beautés et l’utilité morale de la propriété individuelle qui pourra la supprimer. On ne détruit réellement que ce qu’on ne comprend pas. Pour ma part je suis attaché…

Mouchefrin, par ses exclamations, fit entendre que les instincts réactionnaires de Saint-Phlin l’écœuraient. Chacun allait discuter là-dessus, Rœmerspacher exigea le silence.