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CHAPITRE IX

LA FRANCE DISSOCIÉE ET DÉCÉRÉBRÉE

Depuis leur sortie du lycée, soit quatre années, ces jeunes Français veulent agir. En Lorraine, isolés et dénués, enfoncés dans l’inertie, l’ennui, la mort, ils aspirèrent à Paris. Ils le tenaient pour un centre où ils pourraient collaborer à de grands intérêts. Ils s’y trouvent seuls, ignorés de tous, ne sachant avec qui se concerter, tourmentés par leur activité sans emploi. C’est alors qu’ils organisent ce syndicat. À défaut d’un point de ralliement et d’entente que leur offriraient des groupes naturels importants, ils entreprennent de faire eux-mêmes un corps… Autour de quoi ? à quelle fin ? C’est la question que pose le bon sens de Suret-Lefort, de Renaudin.

Quelque chose d’imaginaire, comme la figure de Napoléon en 1884, ne peut pas fournir à des unités juxtaposées la faculté d’agir ensemble. Bonne pour donner du ressort à certains individus, cette grande légende ne peut donner de la consistance à leur groupe, ni leur inspirer des résolutions. Où les sept bacheliers peuvent-ils se diriger, pour quels objets se dépenser, à quelle union s’agréger ?