— Pas si vite ! intervint Rœmerspacher. Examinons la question de principe. Tu m’étonnes, Sturel, de croire aux grand hommes. Certes, rien de plus intéressant que les biographies ; on y trouve du dramatique et surtout elles simplifient l’histoire. Mais ne sens-tu pas que l’individu n’est rien, la société tout ?…
— C’est bien, dit Sturel très nerveux : M. Taine t’a fait panthéiste. Tu regardes la nature comme une unité vivante ayant en elle-même son principe d’action. Moi, j’y vois un ensemble d’énergies indépendantes dont le concours produit l’harmonie universelle.
— Et moi, dit Saint-Phlin, je tiens l’univers pour une matière inerte mue par une volonté extérieure… Napoléon a été voulu par Dieu.
— Rappelez-vous, messieurs, — dit Renaudin en assujettissant son monocle, — qu’il n’aimait pas l’Idéologie, c’est-à-dire les abstractions en l’air.
— Au fait, donc ! reprit Sturel. Toutes nos théories sont excellentes, si chacun de nous y trouve son motif d’action. Et notre ami Saint-Phlin est fort heureux d’avoir une conception du monde qui lui permet d’espérer qu’un jour il pourra être un homme providentiel. Réservons la discussion du rôle des individus. Dans quelle mesure appartient-il à un César, je veux dire à une tête, à un chef, de modifier l’humanité, ce n’est point en cause aujourd’hui. Où Rœmerspacher a-t-il entendu que je lui proposais d’inventer quelque nouveauté touchant les institutions et les gouvernements, les codes, les religions, la littérature, les beaux-arts, l’agriculture, la patrie, la propriété, la famille ? Ce sont toujours, je ne le