Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
LE LYCÉE DE NANCY

travers les siècles, c’est vraiment l’Univers qui parle par sa bouche : l’humanité conte ses rêves, le monde révèle ses lois.

Depuis 1870, une caractéristique des jeunes gens, c’est qu’ils "font de médiocre rhétorique et d’excellente philosophie. Pendant quelques années, l’humanité dans un pays montre avec surabondance une aptitude qui disparaîtra presque de la période suivante. Nés pour s’émouvoir des problèmes philosophiques, ces pauvres êtres, entravés sur les bancs de la classe, tandis que la beauté se révélait à eux, — puis, en étude, sous les lampes qui leur chauffaient le crâne, relisant leurs notes, — puis au dortoir, maintenus en veille par une fièvre d’imagination, parmi les souffles réguliers des rhétoriciens et des scientifiques, — connurent ces incomparables exaltations qui deviennent, passé trente ans, le privilège de quelques natures royales.

À la fin de novembre, quand il commença de leur expliquer les vieux penseurs de l’Ionie et qu’il voulut retrouver chez eux les conceptions les plus modernes de la science, quand sa voix grave montra comment la doctrine orientale des épurations et des métempsycoses, enseignée dans les temples et les grandes écoles de la Grèce, est confirmée par les théories modernes qui rattachent la destinée humaine aux métamorphoses de la nature et aux lois de la vie universelle, ces graves problèmes, ce recul au fond des siècles, cette certitude créée par la concordance des religions du passé avec les académies de Paris et de Berlin, enivrèrent ces enfants d’une poésie qui ressemblait à de l’épouvante. Plus de salles d’études pour écoliers, plus de préaux pour camarades, mais