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AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

du prolétariat européen l’empire de Charlemagne, — à ces Sturel, préoccupés d’allier l’analyse à l’action, il donne la flamme. Pour chaque génération de France, comme il fit avec sa garde, sur la fin du jour, dans le suprême effort de Waterloo, il forme lui-même les premières lignes des combattants et, quand tout le régiment passe, il leur adresse une courte allocution en leur montrant de l’épée les positions à enlever.

« Quoi ! dira-t-on, tant de Napoléons en un seul homme !… » — Nuages, qui colorez diversement le ciel et dont l’ensemble peut faire le ciel même, vous symbolisez magnifiquement le sens universel qu’a pris dans une époque où il ferme tous les horizons cet homme singulier. Les nuages se plaisent à changer, et leur action se déploie tantôt en une demi-sphère magnifique, tantôt en figures innombrables. Ce rapport constant qui s’établit entre la terre et le ciel par les vapeurs qui s’élèvent pour retomber en pluies bienfaisantes, je le retrouve entre l’empereur Napoléon et l’imagination de ce siècle… Napoléon, notre ciel, par une noble impulsion, nous te créons et tu nous crées !… Dès l’abord, les regards ardents de son armée lui donnèrent son masque surhumain, comme une amante modifie selon la puissance de son sentiment celui qu’elle caresse. Et depuis un siècle, dans chaque désir qui soulève un jeune homme, il y a une parcelle qui revient à Bonaparte et qui l’augmente, lui, l’Empereur. Dans sa gloire s’engloutissent des millions d’anonymes qui lui règlent sa beauté. Comme sa force était faite, en juin 1812, au passage du Niémen, des hourras de 475,000 hommes, le plein sens de son nom est déterminé par les plus puissantes paroles du siècle. Les