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CHAPITRE VIII

AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

Le 5 mai, avant deux heures, Rœmerspacher, Sturel, Saint-Phlin, Racadot, se rejoignirent à la grille des Invalides. Le jeune soleil du printemps, qui n’avait pas encore donné de feuillages aux arbres, répandait sur l’esplanade nue la fatigante inquiétude des premières journées chaudes. Racadot, toujours sale et sombre, se taisait ; Rœmerspacher et Saint-Phlin, bien que s’expliquant mal ce lieu de rendez-vous, ne songeaient pas à plaisanter Sturel dont la jeune figure, plus pâle, trahissait l’énervement. Auprès des grilles dorées et dans ce style pompeux de Louis XIV, qui, avec le style romain, l’espagnol de Philippe II et l’impérial, donne à un si haut degré le sentiment du génie administratif, ce groupe d’adolescents aux vêtements d’hiver fatigués, paraissait chétif et peut-être bohème ; mais, précisément, un véritable administrateur, apte à juger le vrai mérite, n’eût pas jugé négligeables ceux qu’assemblait un projet si extraordinaire. Enfin Suret-Lefort déboucha de la rue Saint-Dominique, se hâtant depuis le Palais. Avec sa serviette de cuir noir sous le bras et malgré