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LES DÉRACINÉS

guille aimantée, s’affole sous des courants insensibles aux esprits rouillés, vers quel point l’attraction d’un illustre passant va-t-elle précipiter ces romanesques de qui le cœur se gonflait de désirs tous les soirs au coucher du soleil sur le Luxembourg ?

M. Taine a indiqué qu’aux individus toute vie venait de la collectivité. Son raisonnement supposait que la beauté et la force pour chacun, c’est de se conformer à sa destinée. Il a dit expressément : « Je mourrai et bientôt viendra votre tour. » Rœmerspacher a constaté que ce maître lui-même était un animal avec les conditions, les phases, les fragilités d’une bête. C’est cela surtout, cette idée de la mort et de leur animalité qui met dans leur sang, comme un aphrodisiaque, la hâte, la frénésie de vivre.

— Réunissons donc nos camarades !… Suret-Lefort, Saint-Phlin, Renaudin, Racadot et Mouchefrin, — conclut Sturel, entraînant son ami au bas des pentes de Montmartre. — Examinons avec eux le plan d’une action commune. Il est temps d’employer la vie.

— Fixe le jour, l’heure, l’endroit, dit Rœmerspacher.

— Nous sommes aujourd’hui le 1er mai… Eh bien ! au tombeau de l’Empereur, le 5 mai, jour de sa mort.

Les voilà, comme les Orientaux du désert, qui cherchent un prophète !