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LES DÉRACINÉS

Lui et les siens usèrent de ce mécanisme psychologique pour réaliser un type dont la puissance, en pesant sur la destinée des peuples, a irrité l’opinion… Comme toi, comme M. Taine, je voudrais me faire une conception du monde ; mais je vais plus loin, je voudrais qu’elle me fût un motif d’agir, qu’elle donnât une direction aux forces qui sont en moi. N’importe quelle direction, pourvu qu’elle m’entraîne et me soit plus chère que moi-même… Ah ! dans ce désert de Paris, si nous étions quelques-uns à penser en commun ! si nous pouvions découvrir la sphère où, dès le germe primordial, nous fûmes destinés à nous mouvoir !

— Une association ! dit Rœmerspacher. Mais à quelle fin s’associer ? Loyola, ses amis, voulaient participer de la vie de Jésus. Il était leur modèle, leur point d’appui. Mais où trouver maintenant un lien entre des individus ? Quel homme, quelle idée peuvent aujourd’hui fournir à des imaginations le modèle, l’élan initial, l’image exaltante ? Et, après un silence, une hésitation :

— C’est vrai que M. Taine parlait de groupement…

Rœmerspacher a raison d’hésiter. Il sent que l’ardeur de Sturel les engage dans une voie où le philosophe les eût désavoués. « Association ! » c’est vrai ! mais si l’on examine ce qu’entendait M. Taine et ce qu’ils tendent à réaliser, on se convaincra que le. même mot n’est plus le même selon les lieux et les circonstances où il est logé. Un principe produit des fruits variés selon les esprits qui le reçoivent. Maurice Rœmerspacher, de qui la mère mourut quand il était très jeune, a beaucoup vécu sa petite enfance à l’écart, de préférence avec une vieille do-