Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LES DÉRACINÉS

gance — qui chez des enfants de douze ans n’a d’égale que la susceptibilité, — et, fier d’avoir connu mieux, il flétrissait la mauvaise éducation des républicains. Merveilleusement habile à distribuer son temps, il trouvait chaque jour des heures pour feuilleter le Dictionnaire historique de Bouillet, au point de pouvoir réciter les biographies des dignitaires du premier Empire. Les plus fameux révolutionnaires satisfaisaient aussi son romanesque ; hélas ! cette grande espèce, pensait-il, a disparu. Quand il vit un tel homme, dont le prestige le fascinait, servir la République, ses antipathies pour ce système s’évanouirent. En cour, il déclara :

— Le malheur, c’est qu’il n’y en a pas beaucoup comme celui-là.

Ainsi, M. Bouteiller, dès, le début, se confondait pour ses élèves avec les deux images les plus importantes qui flottaient sur la France : il fut Victor Hugo et la République héroïque. Il ne devait pas s’en tenir là : il abrégea dédaigneusement la philosophie universitaire pour insister avec de puissants développements sur l’histoire de la philosophie… Il allait hausser ces enfants admiratifs au-dessus des passions de leur race, jusqu’à la raison, jusqu’à l’humanité.

Dès ses premiers entretiens, quand il leur parlait de Victor Hugo, et parfois même de Gambetta, quand, par l’affront à Madame de Saint-Phlin, il se posait en démocrate orgueilleux de sa qualité peuple, il incarnait pour eux l’esprit national moderne ; mais aujourd’hui que, se promenant de long en large, il dicte son cours, et surtout s’il ordonne qu’ils posent leurs plumes pour mieux suivre tel rapprochement à