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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

un point de vue juste, mais auquel Portalis se devait trop étroitement tenir. Il y fit du radicalisme avec le souci de ne pas avoir contre lui les opportunistes. Il flirta si fort que le Petit Lyonnais diminua de tirage.

Il fit sa rentrée à Paris avec un livre : « les Deux Républiques » c’est-à-dire la République des légistes et la République américaine. C’est là que la première fois on parla de la Révision. Cet ouvrage où il y a de belles pages sur la loi et de bonnes idées sur l’émancipation régionale, eut un certain succès. Tous ces efforts lui permirent de ramener dans la Vérité, qu’il fonda, des collaborateurs (Sigismond Lacroix, Henri Maret, Tony Révillon), dont la défection l’avait perdu en 1873. C’était se raccommoder avec le gambettisme et le radicalisme. De nouveau il avait sous la main une belle partie à jouer. Girard lui dit : « Vous avez fait assez de bêtises ; je veux quitter mon établissement et gérer votre journal. »

Avec le concours de cet administrateur, il trouva enfin sa vraie manière qui mariait les affaires et le journalisme. Elle témoigne gravement contre le régime parlementaire ; mais dans son principe elle n’est point du chantage. C’est une conséquence et une application du système gouvernemental. À cette époque, l’argent n’était pas rare : pour lancer une entreprise, un banquier ne demandait pas qu’elle fût bonne, mais seulement qu’elle pût fournir un prospectus. De cette prospérité industrielle et de la spéculation, Portalis jugea que les journaux devaient plus largement profiter. La Vérité, d’un petit tirage et peu connue en dehors des salles de rédaction et du Parlement, avait une très grande influence, parce qu’on y discutait les questions sans phrases et que