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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

à peu se dégrade. Son allure puissante, son expression fermée jusqu’à l’hypocrisie et dure jusqu’à l’insensibilité, son mutisme évoquent, ce me semble, certaines figures terroristes et austères des grands magistrats de jadis.

Ayant le choix entre divers patronages, Renaudin montre une sorte de goût puisqu’il a particulièrement senti la maîtrise de Portalis. Parfois, en vérité, ce vulgaire reporter trahit les mouvements d’une certaine poésie intérieure. Ainsi, quand, traversant la place de l’Opéra, aux premiers temps de son arrivée de Nancy, il répétait : « Me voilà au centre de Paris… le centre de Paris… », c’était l’accent d’un poète. C’est encore une imagination poétique, celle qui s’émeut pour ces formes insolentes, âpres, rêches qui voilent en Portalis un feu plus destructeur de l’être que toutes les ardeurs d’un débauché. Cet homme qui sondait tout pour en extraire l’argent n’a jamais joué ni joui ; il n’aimait comme distraction que la marche, l’équitation, les sports violents. Sa seule fête était d’actionner l’opinion par des arguments et les hommes par leurs intérêts. C’est l’ambitieux, qu’on peut définir : l’homme sans plaisir. — Un second élément de romanesque qu’avait entrevu confusément Renaudin dans les bureaux de la Vérité, c’était autour de Portalis l’extraordinaire dévouement de son administrateur Girard. Les relations de ces deux hommes donnent des indications à ceux qui savent goûter ces amitiés émouvantes que Balzac a présentées dans son Vautrin et son Rubempré. Elles sont, dans la réalité, très fréquentes.

Girard qui fît trembler toutes les sociétés financières, grâce à son génie de comprendre leurs pira-