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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

bition de l’ex-directeur de la Vérité heurte Rœmerspacher, Sturel, Saint-Phlin ; ils lui répliquent par Bouteiller « de qui personne ne peut nier la valeur » et qui pourtant a de la moralité. Alors Renaudin prétend leur faire admettre que le professeur se fait des buts et des moyens exactement la même conception que le journaliste. Il les plaisante et les protège, les traite en « poètes » qui n’ont pu mesurer les diffîcultés de la politique et des affaires. Il n’ose pourtant pas leur présenter l’argument qu’à part soi, et bien à tort, ce jeune reporter, qui comprend les faits et non les esprits, juge décisif : le conseil que lui donna Bouteiller d’espionner pour Gambetta.

Admirons, dans une certaine mesure, que cet enfant dont personne n’a formé le goût sache sentir l’énergie insolente d’un Portalis qui parfois le brusqua, mais ajoutons — et nous l’étonnerions fort — qu’il se méprend lourdement s’il confond à cette date un Bouteiller et un Portalis, et s’il juge que ce dernier possède mieux que des « poètes » les moyens d’agir et de s’élever dans le milieu national. Voilà la vérité ; le Renaudin qui se croit un grand admirateur des esprits réalistes ne juge pas sainement la réalité de la vie française. Comme son « patron », il manque de bon sens ; — ce que nous allons démontrer du premier.

Cette démonstration importe pour caractériser les influences que subit cette petite équipe : par la force de l’air que déplace en se développant une masse comme est Portalis, ces jeunes gens, feuilles détachées du grand chêne lorrain, allaient être entraînés sur un assez long espace dans la direction au moins suspecte où s’enfonçait, selon la