Ces infortunées, d’ailleurs, ne distinguent guère entre tous ces jeunes bourgeois, qui leur sont seulement des proies plus ou moins faciles ; mais du profond de leur humiliation et de leur détresse elles se sentent les sœurs des Racadot et des Mouchefrin.
Il y a entre eux une animalité pareille, le goût de la boisson, des grosses nourritures, les privations de toutes sortes, le froid, la faim, un langage analogue. Libérées de leur dure infamie, elles eussent été les bonnes compagnes de ces malheureux. La Léontine donnait à Racadot les témoignages les moins douteux de son affection, prête à partager avec lui les bénéfices de sa demi-prostitution, à se battre avec ses collègues si on l’eût déprécié, fière des titres universitaires dont il ne parvenait pas à vivre. Si les meilleures brasseries du boulevard Saint-Michel où se plaisait Rœmerspacher, que traversait Suret-Lefort, étaient déjà si déplaisantes, imaginez ces établissements de dernier ordre, toujours à la veille d’une faillite, attristés de maladies plus encore que de vices ! Racadot et Mouchefrin pourtant y trouvent leur palais. C’est l’instinct des noyés qui, sur l’océan social, s’accrochent les uns aux autres pour essayer de se sauver ; mais c’est aussi l’instinct d’exilés qui se reconnaissent et bivouaquent fraternellement. Pour eux, la brasserie n’est pas comme pour la jeunesse heureuse l’endroit méprisé où l’on s’amuse : c’est le lieu où l’on se glisse pour avoir la pitié d’une femme, sa pitié utile.
— Pourquoi Racadot, s’il ne peut faire vivre la Léontine, ne la quitte-t-il pas ? disait un jour Sturel.
— Il n’est pas assez riche, répondit Rœmerspacher.
Parole inexacte : c’est vrai que la Léontine sert de