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LES DÉRACINÉS

on reconnaît qu’il n’a pas à proprement parler d’ambition ; du moins ce qui la constitue, c’est la joie d’être mêlé à une intrigue, de la comprendre, de la déjouer chez ses adversaires, de la tourner à son profit. Un homme de comité, à force de raisonner les moyens, arrive à se complaire en eux plus que dans leur objet. Une telle éducation, qui nous indique à chaque pas les trop réels dangers d’un mouvement généreux et qui ne laisse aucune place aux décisions esthétiques, développe exclusivement la faculté de calculer des forces. Voilà comment on peut être un politique sans avoir l’esprit de gouvernement, et avec plus de goût pour l’intrigue que pour le pouvoir.

De ces jeunes hommes, Rœmerspacher est le seul qui travaille réellement. Bien qu’il se fût placé au premier rang des étudiants en médecine de son année, il trouvait du temps pour des lectures nombreuses ; il les analysait, les résumait et, ce qui vaut mieux encore, les classifiait.

Renaudin continue son pénible métier de reporter et regrette toujours les deux années où régulièrement payé, il travaillait sous la direction de Portalis. C’est fâcheux qu’il ait mangé son pain blanc le premier, mais dans ce noviciat il s’est fortement déniaisé : il sait voir et il sait écouter, aussi dans ses causeries avec ses camarades, à leur profit et au sien, l’étude et la réflexion ont une large part.

Quant au gros Racadot, qui est un peu clerc de notaire, et au petit Mouchefrin, qui s’intitule par mensonge « étudiant en médecine », ils vivent de préférence avec des bookmakers et de basses prostituées… Singulier usage de cette liberté qui fait