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LES FEMMES DE FRANÇOIS STUREL

lumineux sourire, ignorance de la vie et confiance en soi-même qui s’épanouissent chez une fille de dix-huit ans comme au printemps s’étale la queue en panache d’un paon !

Les circonstances facilitèrent les arrangements de François Sturel. Au bout de trois semaines, madame Aravian, ainsi qu’elle avait projeté, quitta la ville pour n’y plus reparaître. Elle bâillait dans le salon de l’honorable et pectorale madame de Coulonvaux, parce qu’elle avait vu au Caucase des sociétés bien autrement pittoresques où s’agitaient des princes géorgiens, souples de corps, ignorants, magnifiques, ruinés et qui empruntaient de l’argent pour faire des cadeaux. Sturel, plusieurs fois par semaine, alla lui demander la suite de ses beaux récits qui ne finissaient jamais qu’à l’heure du premier déjeuner.

Il écartait toutes les occasions où le nom de cette grande amie pouvait être prononcé par sa petite amie Thérèse Alison. Il eût tant joui du parfait accord de toutes les personnes qui lui voulaient du bien ! Le rêve est chimérique. Mais à vingt ans, on est excusable de croire au bon sens des femmes qui vous jurent vouloir uniquement votre bonheur.

Erreur plus grave, dans un âge où se consacrer tout entier à un amour heureux serait probablement fort agréable, il complique les plaisirs réels que lui donne madame Aravian d’un flirt enfantin avec mademoiselle Alison. Il a tort également d’apporter à celle-ci une âme que l’Arménienne a troublée. Ne devrait-il pas réserver sa jeune compatriote pour une sensibilité plus saine, traditionnelle, qu’il eût facilement retrouvée en lui quelques années plus tard ? Elle-même, par riposte, exagère sa légère fanfaron-