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LES DÉRACINÉS

légèrement dédaigneux, — je fais des éducations !

Il pâlit de ce mot.

Les puissants toujours sont solitaires. Cette jeune femme, qui mettait l’Asie dans les bras d’un jeune Lorrain, ne trouva pas auprès de lui le bénéfice de ses enchantements. Par la violence des sensations elle l’épouvanta. Étourdi d’une telle reine, il fuyait pour jouir de ses dons à l’écart. Ces mêmes qualités d’étrangère qui l’attiraient le blessaient.

Avez-vous vu dans les broussailles un enfant de la montagne guetter, admirer, haïr une belle promeneuse ? Il lui jette des pierres, en demeure tout rêveur.

Astiné qui dit ce mot profond : « Je pense qu’il faut tout faire, mais avoir de la tenue », gardait dans la débauche des manières polies, une modestie de la voix, une simplicité sûre de tous ses gestes, un maintien qui imposaient.

Sturel prit tout de madame Aravian et se tourna ainsi paré vers mademoiselle Alison. Elle avait un visage d’une beauté touchante et un joli petit corps, et fournissait ainsi des réalités sensibles à l’imagination, subitement informée, d’un garçon de vingt ans. Surtout il espérait pouvoir la dominer. Peu importe si la force et le haut caractère d’idole passionnée d’Astiné sont d’un caractère plus rare que la grâce de jeune bête encore hésitante de cette jeune fille. Cela plaît au jeune mâle d’étonner, et, formé par une femme, il se hâte de trouver une fille à débrouiller.

Astiné, c’est un livre admirable qu’il feuillette ; il s’empoisonne avec avidité de toutes ses paroles, mais n’est pas né pour s’endormir sous le plus beau des mancenilliers.