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LES DÉRACINÉS

lets : ce sont des métiers artistiques. Il y a dans ma famille une réelle éducation des nerfs.

Les vallées de l’Euphrate et du Tigre, qui baignaient le Paradis terrestre ; Babylone et Ninive, la Perse, l’Inde, l’Ionie ! — de telles syllabes prononcées déterminent en Sturel de profonds ébranlements. Cette puissance de leur son n’est pas seulement qu’il vient des origines de l’histoire ; mais il retourne pour les émouvoir jusqu’aux gisements profonds du jeune homme. Quand il avait quatre ou cinq ans, on fit sortir des ténèbres, on créa son imagination avec des récits sur ces lieux légendaires. Le bruit de leurs noms, c’est un fil magnifique qui le relie dans son passé à ses premières songeries.

Elle vient d’Asie et de régions mystérieuses et parfumées comme de belles esclaves voilées. Il admire son profil grave et désire y passer la main. Il s’enfonce dans ses yeux ; il n’y cherche pas la vérité sur leur amour, mais le secret des caravanes qui traversent le désert. Il appuie son oreille pour écouter dans ce cœur quels mouvements agitèrent toute la série des femmes dont elle fut enfantée et qu’il aime dans ses bras. Il respire l’odeur de sa peau, et non point avec l’ardeur d’un jeune amant, mais plutôt dans un délire mélancolique, avec humilité et tristesse, s’inclinant comme un barbare sur le seuil des immenses beautés asiatiques… Il défaillait de sensations poétiques, ainsi qu’il advint à ce jeune soldat trop cupide qui périt écrasé sous les bagues, les diamants et les perles parmi les trésors de l’Orient dont un fatal bonheur lui avait ouvert l’accès.

À dix-neuf ans, pour l’ordinaire, un jeune homme favorisé pense : « Quand ma maîtresse entre dans sa