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LES DÉRACINÉS

soupirant pitoyable… Mais parler de son cerveau serait d’un cuistre, et qu’ai-je d’autre ? »

Le fat ! À cette époque, il n’a même pas de cerveau. Il ignore les coutumes ; il ne songe pas qu’une jeune fille est toujours de chasse réservée. C’est un jeune lévrier en liberté dans le taillis. Heureusement pour la morale, son gibier savait des tours.

À la villa, les faits et gestes de chaque pensionnaire, cela va de soi, étaient connus et commentés. La femme de chambre de mademoiselle Alison, en la coiffant, lui avait dit :

— On parle beaucoup, en bas (c’est-à-dire à l’office), de cette dame, la Turque. Il paraît qu’elle traite pour le mieux le petit étudiant.

Mademoiselle Alison ainsi prévenue crut devoir reconnaître dans ce beau billet un roué. Ce n’était pas ce qui pouvait émouvoir son cœur, fait de noblesse et de chimères, mais son imagination et sa coquetterie furent intéressées à ce drôle de garçon qui, sans avoir aucun air de Paris, était assez vivant pour s’organiser un jeu si compliqué. Elle s’amusa de le rendre amoureux pour se moquer. Ce projet, dont les suites devaient tristement commander leurs relations, en fut le principe. Elle lui répondit :

« Monsieur,

« Ce qui eût été fâcheux, c’est qu’en allant au salon, je ne vous y eusse pas rencontré. Il avait été simplement convenu que vous m’attendriez. Ma bonté, dont vous parlez, est d’accepter un engagement de votre part. Prouvez-moi, par votre assiduité de tous les jeudis, que vous avez bien compris le seul traité