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CHAPITRE IV

LES FEMMES DE FRANÇOIS STUREL

Sturel ne se coucha pas ; il relut les passages préférés de la Nouvelle Héloïse. Les événements de cette nuit avaient éveillé en lui l’ambition et l’amitié ; Rousseau l’entretenait d’amour et de sensualité. Il devenait plus vivant. L’univers s’élargissait. Des lueurs sur tout ce qui fait jouir ou souffrir venaient guider ou prolonger sa raison. Fier de cet agrandissement intérieur, il pensait avec pitié qu’il y a des vies sans initiation. Mais entre lui-même et les objets de son désir il sentait un voile léger. Il aurait voulu dominer les hommes et caresser les femmes ; il y prévoyait des obstacles, petit étudiant, qui n’avait pas même une lettre pour un salon parisien.

Au repas de midi, où il apporta beaucoup d’appétit et un peu de somnolence, il se tut. Les dames Alison déjeunaient en ville. À la manière dont il accueillit quelques plaisanteries réchauffées de la veille, on jugea prudent de le négliger. D’ailleurs, l’intérêt de ces désœuvrés allait tout vers une nouvelle pensionnaire de qui madame de Coulonvaux chuchotait :