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UN HOMME LIBRE

poir et par impuissance, car il souffre de lancinations sans trêve que la morphine ne maîtrise plus. Il sait sa mort assurée, douloureuse et lente. Il gît loin de ses pairs, parmi des hommes grossiers qui ont l’habitude de rire avec bruit ; même il en est arrivé à rougir de soi-même, et pour plaire à ces gens il a voulu paraître leur semblable.

Dans cet abaissement, qu’il allume sa lampe, qu’il prenne les lettres des rois qui le traitent en amis, qu’il célèbre le culte dont l’entoura sa maîtresse, jeune et de qui les beaux yeux furent par lui remplis jusqu’au soir où elle mourut en le désirant, qu’il oublie son infirmité et les gestes dont on l’entoure ! Voici que l’amour, celui qu’il aime, l’amour frère de l’orgueil, rentre en lui, et ses pensées ennoblies redeviennent dignes des grands qui l’honorent, tendues et dédaigneuses.

Ainsi s’achevait cette nuit. Silencieux et désabusés, nous appuyions nos fronts aux vitres fraîches. Sur la vaste cuvette des terres endormies, parmi les vapeurs qui s’étirent, l’aube commençait ; alors, nous entreprîmes,