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UN HOMME LIBRE

infâme de ne connaître que des instants d’émotion, rapides comme des pointes de feu. Souffre, et profondément, pour que ton Moi, à cet éveil brutal, enfin te soit connu. Tu n’es qu’un infirme, somnolent sous la pluie de la vie. Depuis huit années que tes sens sont baignés de sensations, quelle ardeur peux-tu me montrer dont tu brûles, quand il faudrait que tu fusses consumé de toutes à la fois et sans trêve ! Mais comment supporterais-tu cette belle ivresse, toi qui n’as pas même un réel désir d’être ivre, encore que tu enfles ta voix pour injurier ta médiocrité ! Souffre donc, homme insuffisant, car tous sont meilleurs que toi. Et si tu te vantes que leur supériorité t’est indifférente, je ne t’autorise pas à tirer mérite de ce renoncement : il n’est beau d’être misérable et d’aimer sa misère qu’après s’être dépouillé volontairement. »

Ah ! Simon, quel ennui ! Que d’années excellentes perdues pour le développement de ma sensibilité ! J’entrevois la beauté de mon âme, et ne sais pas la dégager ! C’est un grand dépit d’être enfermé dans un corps et dans un