Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
UN HOMME LIBRE

épaule des paroles flatteuses dénuées d’à-propos.

Celui que je rencontrai ensuite était amer et dédaigneux, mais son esprit, ardent et désintéressé. Je le vis orgueilleux de son vrai moi jusqu’à s’humilier devant tous, pour que du moins il ne fût jamais traité en égal. Je l’adorais, mais, malades l’un et l’autre, nous ne pûmes nous supporter, car chacun de nous souffrait avec acuité d’avoir dans l’autre un témoin. Aussi avons-nous préfèré — du moins tel fut mon sentiment, car je ne veux même plus imaginer ce qu’il pensait — oublier que nous nous connaissions et si, rusant avec la vie, je fis parfois des concessions, je n’avais plus à m’en impatienter que devant moi-même.

Ô solitude, toi seule ne m’as pas avili ; tu me feras des loisirs pour que j’avance dans la voie des parfaits, et tu m’enseigneras le secret de vêtir a volonté des convictions diverses, pour que je sois l’image la plus complète possible de l’univers. Solitude, ton sein vigoureux et morne, déjà j’ai pu l’adorer ; mais j’ai manqué de discipline, et ton étreinte m’avait