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UN HOMME LIBRE

les hommes supérieurs que vous remarquiez ? Vous en parlez, ce semble, avec chaleur. Ces liaisons intellectuelles expliquent quelquefois nos attitudes de la vingtième année.

— À dix-huit ans, mon âme était méprisante, timide et révoltée. Je vis un sceptique caressant et d’une douceur infinie ; en réalité il ne se laissait pas aborder,

Ô mon ami, de qui je tais le nom, auprès de votre délicatesse j’étais maladroit et confus ; aussi n’avez-vous pas compris combien je vous comprenais ; peut-être vous n’avez pas joui des séductions qu’exerçait sur mon esprit avide l’abondance de vos richesses. Vous me faisiez souffrir quand vous preniez si peu souci d’embellir mes jeunes années qui vous écoutaient, et paré d’un flottant désir de plaire, vous n’étiez préoccupé que de vous paraître ingénieux à vous-même. Or, cédant à l’attrait de reproduire la séduisante image que vous m’apparaissiez, je négligeai la puissance de détester et de souffrir qui sourd en moi. Vous captiviez mon âme, sans daigner même savoir qu’elle est charmante, et vous l’entraîniez à votre suite en lui lançant par-dessus votre