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UN HOMME LIBRE

une excitation passagère me traverse ; en ces instants, je sens d’une manière heureuse et vive ; la multiplicité et la promptitude de mes idées sont incomparables : elles m’enchantent et me tourmentent. Ah ! que ne puis-je les fixer à jamais ! Si à l’aube, elles se retirent, me laissant dans l’accablement, c’est que je n’ai pas su les canaliser ; si, au soir, je les attends en vain, c’est que je n’ai pas surpris le secret de les évoquer… Je te marque là quelle sera notre tâche de Saint-Germain.

Nous sommes l’un et l’autre des mélancoliques. Mais faut-il nous en plaindre ? Admirable complication qu’a notée le savant ! Les appétits du mélancolique prennent plutôt le caractère de la passion que celui du besoin. Nous anoblissons si bien chacun de nos besoins que le but devient secondaire ; c’est dans notre appétit même que nous nous complaisons, et il devient une ardeur sans objet, car rien ne saurait le satisfaire. Ainsi sommes-nous essentiellement des idéalistes.

De cet état, disent les médecins, sortent des passions tristes, minutieuses, personnelles, des idées petites, étroites et portant sur les