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UN HOMME LIBRE

vous paraîtra fort ordinaire, que le Don, fleuve de Russie, était l’antique Tanaïs des légende classiques. Et cette notion prit en moi une telle intensité, une beauté si mystérieuse que je dus, ayant allumé, chercher dans la bibliothèque une carte où je suivis ce fleuve dès sa sortie du lac, tout au travers du pays de Cosaques. Grandi par tant de siècles interposés, Orphée m’apparut errant à travers les glaces hyperboréennes, sur les rives neigeuses du Tanaïs, dans les plaines du Riphé que couvrent d’éternels frimas, pleurant Eurydice et les faveurs inutiles de Pluton. Cet esprit délicat fut sacrifié par les femmes toujours ivres et cruelles. On s’étonnera que je m’émeuve d’un incident si fréquent. Il est vrai, pour l’ordinaire, ce mythe ne me trouble guère mais ce soir-là, mille sens admirables s’en levaient, si pressés que je ne pouvais les saisir. Et ces désolations lointaines, évoquées sans autre détails, m’emplissaient d’indicible ivresse. Ainsi s’achève dans l’enthousiasme une journée de sécheresse, de la plus fade banalité. Qu’ils sont beaux les nerfs de l’homme ! À genoux, prions les apparences qu’elles se re-