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faite à sa nécessité intérieure. Donc, je le proclame : si je possède l’élément le plus intime et le plus noble de l’organisation sociale, à savoir le sentiment vivant de l’intérêt général, c’est pour avoir constaté que le « Moi », soumis à l’analyse un peu sérieusement, s’anéantit et ne laisse que la société dont il est l’éphémère produit. Voilà déjà qui nous rabat l’orgueil individuel. Mais le « Moi » s’anéantit d’une manière plus terrifiante encore si nous distinguons notre automatisme. Il est tel que la conscience plus ou moins vague que nous pouvons en prendre n’y change rien, Quelque chose d’éternel gît en nous, dont nous n’avons que l’usufruit, et cette jouissance même, nos morts nous la règlent. Tous les maîtres qui nous ont précédés et que j’ai tant aimés, et non seulement les Hugo, les Michelet, mais ceux qui font transition, les Taine et les Renan, croyaient à une raison indépendante existant en chacun de nous et qui nous permet d’approcher la vérité. L’individu, son intelligence, sa faculté de saisir les lois de l’univers ! Il faut en rabattre. Nous ne sommes pas les maîtres des pensées qui naissent en nous. Elles sont des façons de réagir où se traduisent de très anciennes dispositions physiologiques, Selon le milieu où nous sommes plongés, nous élaborons des jugements et des raisonnements. Il n’y a pas d’idées personnelles ; les idées même les plus rares, les jugements même les plus abstraits, les sophismes de la méta-