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UN HOMME LIBRE

les airs les plus variés à chaque fois qu’il me plairait de presser sur tel bouton. J’ai enrichi mon répertoire du chant de l’amour. Je ne pouvais guère m’en passer. La chose se fit très lestement. La période grossière, où l’on souffre vraiment, où l’on jouit vraiment (et je ne sais, pour un esprit soucieux de voir clair, quel est de ces égarements le plus pénible !), je ne permis pas qu’elle durât plus de deux mois. Le plaisir ne commence que dans la mélancolie de se souvenir, quand les sourires, toujours si grossiers, sont épurés par la nuit qui déjà les remplit. Pour présenter quelques douceurs, il faut qu’un acte soit transformé en matière de pensée. J’ai activé les phénomènes ordinaires de la sensibilité. En trois semaines, d’une vulgaire anecdote je me suis fait un souvenir délicieux que je puis presser dans mes bras, mes soirs d’anémie, me lamentant par simple goût de mélancolique, craignant la vie, l’instinct, tout le péché originel qui s’agite en moi, et fortifiant l’univers personnel que je me suis construit pour y trouver la paix.