Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
UN HOMME LIBRE

centre des choses ; elles me doivent obéir. Je mourrai fatalement, et, si j’en éprouve le besoin, je puis avancer cette date. En attendant, soyons un homme libre, pour jouir méthodiquement de la beauté de notre imagination. »

Les salles de jeu m’ont toujours ennuyé. J’ai pourtant tous les instincts du joueur. Si je m’intéressais à la politique, à la religion et aux querelles mondaines, j’embrasserais le parti du plus faible. C’est générosité naturelle ; c’est aussi calcul de joueur : j’espérerais être récompensé au centuple. En outre, il m’arrive, quand je souffre un peu des nerfs, de désirer avec frénésie risquer ma vie à quelque chose ; pour rien, pour l’orgueil de courir un grand risque. Mais mettre des louis sur le tapis vert, voilà qui n’intéresse pas la dixième partie de moi-même. Et si je perdais, tout mon être serait annihilé. Car sans argent, comment développer son imagination ? Sans argent, plus d’homme libre.

Celui qui se laisse empoigner par ses instincts naturels est perdu. Il redevient inconscient ; il perd la clairvoyance, tout au moins