Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
UN HOMME LIBRE

grandes voluptés et que leur préfèrent les épicuriens délicats. Il sentait une fatigue confuse des efforts héroïques de ses pères, et tout en gardant la noble attitude qu’ils lui avaient lentement formée par leur gloire, il en souriait. Les Caprices de Tiepolo sont des recueils héroïques, où toutes les âmes de Venise sont réunies ; mais tant de siècles se résumant en figures symboliques, ce sourire inavoué, cette mélancolie dans l’opulence sont d’un scepticisme trop délicat pour la masse des hommes. Un homme trop clairvoyant parait énigmatique…

On traite volontiers d’obscur ce qu’on ne comprend pas ; cela est vrai grammaticalement, mais il appartient au poète de faire sentir ce qui ne peut être compris. Tiepolo contemple en soi toute sa race. Que parmi des guerriers pensifs, une jeune fille agite un drapeau ! À cette page de Tiepolo, je m’arrête j’ai reconnu son âme, la mienne !

Ah ! celui-là, comment s’étonner si je le préfère à tout autre ?