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UN HOMME LIBRE

science la plus ornée qu’on puisse imaginer, et chez lui la force, dépouillée de sa première énergie, invente une grâce ignorée des sectaires. Ah ! ces airs de tête, ces attitudes, ces prétentions, cet élan charmant et qui sans cesse se brise ! Ce qu’il aime avant tout, c’est la lumière ; il en inonde ses tableaux ; les contours se perdent, seules restent des taches colorées qui se pénètrent et se fondent divinement. — Ainsi, j’ai perdu le souvenir des anecdotes qui concernaient mes diverses émotions, et seule demeure, au fond de moi, ma sensibilité qui prend, selon ses hauts et ses bas, des teintes plus ou moins vives. Ciel, drapeaux, marbres, livres, adolescents, tout ce que peint Tiepolo est éraillé, fripé, dévoré par sa fièvre et par un torrent de lumière, ainsi que sont mes images intérieures que je m’énerve a éclairer durant mes longues solitudes.

Dans une suite de Caprices, livres d’eaux-fortes pour ses sensations au jour le jour, Tiepolo nous a dit toute sa mélancolie. Il était trop sceptique pour pousser à l’amertume. Ses conceptions ont cette lassitude qui suit les