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UN HOMME LIBRE

Venise, qui jusqu’alors luttait pour exister, ne se forme une vision personnelle de l’univers que sous une légère atteinte de douceur mystique : Memling, venu d’Allemagne, fait naître Jean Bellin. — De même, c’est par ce besoin de protection que connurent toutes les enfances mortifiées, et par l’enseignement métaphysique d’outre-Rhin, que je fus éveillé à me faire des choses une idée personnelle. À douze ans, dans la chapelle de mon collège, je lisais avec acharnement les psaumes de la Pénitence, pour tromper mon écœurement ; et plus tard, dans l’intrigue de Paris, le soir, je me suis libéré de moi-même parmi les ivresses confuses de Fichte et dans l’orgueil un peu sec de Spino.

Si fiévreux et changeant que je paraisse, la vision saine que se faisait de l’univers le Titien ne contrarie pas l’analogie de mon Être et de l’Être de Venise. — Il est clair que jamais je n’atteignis la paix qu’on lui voit, mais c’est pour y parvenir que toujours je m’agitai. Si je suis inquiet sans trêve, c’est parce que j’ai en moi la notion obscure ou le regret de cette sérénité. Ma fébrilité actuelle n’est sans doute