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UN HOMME LIBRE

habite aujourd’hui en moi est faite de parcelles qui survécurent à des milliers de morts ; et cette somme, grossie du meilleur de moi-même, me survivra en perdant mon souvenir.

Je ne suis qu’un instant d’un long développement de mon Être ; de même la Venise de cette époque n’est qu’un instant de l’Âme vénitienne. Mon Être et l’Être vénitien sont illimités. Grâce à ma clairvoyance, je puis reconstituer une partie de leurs développements ; mais mon horizon est borné par ma faiblesse : jamais je n’atteindrai jusqu’au bonheur parfait de contempler Dieu, de connaître le Principe qui contient et qui nécessite tout. Que j’entrevoie une partie de ce qui est ou du moins de ce qui parait être, cela déjà est bien beau.

Cette satisfaction me fut donnée, quand je contemplai dans l’âme de Venise, mon Être agrandi et plus proche de Dieu.

L’Être de Venise.

Cette qualité d’émotion, qui est constante dans Venise et dont chacun des détails de