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UN HOMME LIBRE

Qu’on ne saurait goûter que
Dieu seul, et qu’on le goûte en
toutes choses, quand on l’aime
véritablement.

Je le dis, un instant des choses, si beau qu’on l’imagine, ne saurait guère m’intéresser. Mon orgueil, ma plénitude, c’est de les concevoir sous la forme d’éternité. Mon être m’enchante, quand je l’entrevois échelonné sur les siècles, se développant à travers une longue suite de corps. Mais dans mes jours de sécheresse, si je crois qu’il naquit il y a vingt-cinq ans, avec ce corps que je suis et qui mourra dans trente ans, je n’en ai que du dégoût.

Oui, une partie de mon âme, toute celle qui n’est pas attachée au monde extérieur, a vécu de longs siècles avant de s’établir en moi. Autrement, serait-il possible qu’elle fût ornée comme je la vois ! Elle a si peu progressé, depuis vingt-cinq ans que je peine à l’embellir ! J’en conclus que, pour l’amener au degré où je la trouvai dès ma naissance, il a fallu une infinité de vies. L’âme qui