Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
UN HOMME LIBRE

Mes souvenirs, rapidement déformés par mon instinct, me présentèrent une Venise qui n’existe nulle part. Aux attraits que cette noble cité offre à tous les passants, je substituai machinalement une beauté plus sûre de me plaire, une beauté selon moi-même. Ses splendeurs tangibles, je les poussai jusqu’à l’impalpable beauté des idées, car les formes les plus parfaites ne sont que des symboles pour ma curiosité d’idéologue.

Et cette cité abstraite, bâtie pour mon usage personnel, se déroulait devant mes yeux clos, hors du temps et de l’espace. Je la voyais nécessaire comme une Loi ; chaîne d’idées dont le premier anneau est l’idée de Dieu. Cette synthèse, dont j’étais l’artisan, me fit paraître bien mesquine la Venise bornée où se réjouissent les artistes et les touristes.