Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
UN HOMME LIBRE

vait encore pour la beauté de la Venise du dehors, tandis que la nuit, descendant d’un ciel au coloris pâli, ennoblissait d’une agonie romanesque l’Adriatique. Et si ce déclin du jour me toucha plus longtemps qu’aucun instant de cette ville, c’est qu’il est le point de jonction entre ma sensibilité anémique et la vigueur vénitienne.

Dès lors, je ne quittai plus mon appartement, où, sans phrases, un enfant m’apportait des repas sommaires.

Vêtu d’étoffes faciles, dédaigneux de tous soins de toilette, mais seulement poudré de poudre insecticide, je demeurais le jour et la nuit parmi mes cigares, étendu sur mon vaste lit.

J’avais enfin divorcé avec ma guenille, avec celle qui doit mourir. Ma chambre était fraîche et d’aspect amical. Ignorant du bruyant appel des horloges obstinées, je m’occupai seulement à regarder en moi-même, que venaient de remuer tant de beaux spectacles. Je profitais de l’ennui que je m’étais donné a vivre en proie aux ciceroni, tête nue, parmi les édifices remarquables.