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UN HOMME LIBRE

Zattere (un kilomètre le long d’un bras de mer canalisé, sur un quai largement dallé). Je suis certainement en face d’un des plus beaux paysages du monde… Et puis, mon dîner retardé de vingt minutes, la soirée me sera moins longue… Ah ! ces soirées, toutes ces journées de la vie extérieure !… Et s’il pleuvait, j’aurais un frisson d’humidité, la table du restaurant me serait lugubre et, l’ayant quittée, il me faudrait rentrer immédiatement dans un chez moi meublé de malaise, ou m’enfermer dans un café qui me congestionne ! »

Ce chœur des pensées qui m’emplissaient fait voir que les plus voluptueux décors ne peuvent imposer silence à mes sensibilités mesquines. La grâce de Venise qui me pénétrait ne pouvait étouffer les protestations dont mon être naquit gonflé. Il fallait que l’âme de cette ville se fondit avec mon âme dans quelqu’une de ces méditations confuses dont parfois mon isolement s’embellit.