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UN HOMME LIBRE

spectacles ne me sont que des tableaux psychologiques.

Je dirai que, parmi ces délices sensuelles, jamais je n’oubliai l’heure qu’il était. Aux meilleurs détours de cette ville abondante et toujours imprévue, jamais je ne perdis l’impression qui fait mon angoisse : le sens du provisoire,

Mais qu’on me laisse décrire l’ordre de mes associations d’idées, tandis qu’en ce jardin de chefs-d’œuvre j’errais, mal sensible à la prodigalité des essais du génie vénitien et soucieux uniquement d’absolu.

Je prends un exemple au hasard : vers le crépuscule, débouchant de mon canal Bragadin sur les Fondamenta Zattere, soudain je voyais le soleil comme une bête énorme flamboyer au versant d’un ciel délicat, par-dessus une mer indifférente à cette brutalité, toute élégante et de tendresse vaporeuse. Alors, avec un haut-le-corps, je m’exclamais et je gesticulais. Puis aussitôt : « Quoi donc ! es-tu certain que cela t’intéresse ? » Mais en même temps : « Saisissons l’occasion, me disais-je, pour pousser jusqu’à l’extrémité des