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UN HOMME LIBRE

Aux cloîtres florentins, jadis, combien n’ai-je pas célébré les primitifs ! J’avais pour la société des hommes une haine timide, j’enviais la vie retenue des cellules. Même à Saint-Germain, la gaucherie de ces âmes peintes, leurs gestes simplifiés, leurs physionomies trop précises et trop incertaines satisfaisaient mon ardeur si sèche, si compliquée. Mais la soirée d’Haroué et le Vinci m’ont transformé : le plus vénérable des primitifs à Padoue ne m’inspire qu’une sorte de pitié complaisante, qui est tout le contraire de l’amour.

Voila bien, sur ces figures, la méfiance délicate que je ressens moi-même devant l’univers, mais je n’y devine aucune culture de soi par soi. S’ils gardent, à l’égard de la vie, une réserve analogue à la mienne, c’est pour des raisons si différentes ! Je les médite, et je songe à la religion des petites sœurs, qui, malgré mon goût très vif pour toutes les formes de la dévotion, ne peut guère me satisfaire. Sur ces physionomies le sentiment, maladif, stérile, met une lueur ; mais aucune clairvoyance, aucun souci de se comprendre