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UN HOMME LIBRE

J’étais fort énervé ; il me fallut passer à la poste, ou l’on me demanda un passeport. Je discutai, m’emporta ! et, tremblant de colère, molestai de paroles les commis. Puis aussitôt je me pris rire, comme un malade, en songeant à mes beaux plans d’indulgence universelle…

Qu’importe ! il faut que je m’accepte comme j’accepte les autres. Mon indulgence, faite de compréhension, doit s’étendre jusqu’à ma propre faiblesse. Se détacher de soi-même, chose belle et nécessaire ! D’ailleurs, mon moi du dehors, que me fait ! Les actes ne comptent pas ; ce qui importe uniquement, c’est mon moi du dedans ! le Dieu que je construis. Mon royaume n’est pas de ce monde ; mon royaume est un domaine que j’embellis méthodiquement à l’aide de tous mes pressentiments de la beauté ; c’est un rêve plus certain que la réalité, et je m’y réfugie à mes meilleurs moments, insoucieux de mes hontes familières.