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UN HOMME LIBRE

mon âme. Je considérais mes divers sentiments, qui ont la physionomie rechignée et malingre des enfants difficilement élevés, mais je ne m’aimais pas. Or, le Vinci pour représenter le plus compréhensif des hommes, celui qui lit dans les cœurs, ne lui donne pas le sourire railleur dont il est le prodigue inventeur, ni cet air dégoûté qui m’est familier ; mais le Christ qu’il peint accepte, sans vouloir rien modifier. Il accepte sa destinée et même la bassesse de ses amis : c’est qu’il donne à toutes choses leur pleine signification. Au lieu d’étriquer la vie, il épanouit devant son intelligence la part de beauté qui sommeille dans le médiocre.

Aujourd’hui, dans cette veillée d’Italie, je vois qu’il n’y a pas compréhension complète sans bonté. Je cesse de haïr. Je pardonnerai à tout ce qui est vil en moi, non par un mot, mais en le justifiant. Je repasserai par toutes les phases de chacun de mes sentiments ; je verrai qu’ils sont simplement incomplets, et qu’en se développant encore, ils aboutiront à satisfaire l’ordre. Et sur l’heure je jouirai de cet ordre.