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UN HOMME LIBRE

Peut-être serait-ce le bonheur d’avoir une maîtresse jeune et impure, vivant au dehors, tandis que moi je ne bougerais jamais, jamais. Elle viendrait me voir avec ardeur ; mais chaque fois, à la dernière minute, me pressant dans ses bras, elle me montrerait un visage si triste, et son silence serait tel que je croirais venu le jour de sa dernière visite. Elle reviendrait, mais perpétuellement j’aurais vingt-quatre heures d’angoisse entre chacun de nos rendez-vous, avec le coup de massue de l’abandon suspendu sur ma tête. Même il faudrait qu’elle arrivât un jour après un long retard, et qu’elle prolongeât ainsi cette heure d’agonie où je guette son pas dans le petit escalier. Peut-être serait-ce le bonheur, car, dans une vie jamais distraite, une telle tension des sentiments ferait l’unité. Ce serait une vie systématisée.

Ma maîtresse, loin de moi, ne serait pas heureuse ; elle subirait une passion vigoureuse à laquelle parfois elle répondrait, tant est faible la chair, mais en tournant son âme désespérée vers moi. Et j aurais un plaisir ineffable à lui expliquer avec des mots d’amer-