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UN HOMME LIBRE

mon front dans mes mains, et me rejetais en arrière avec une détresse incroyable. Je crois bien que je ne désire pas grand’chose, et les choses que je désire, il me serait possible de les obtenir avec quelque effort, aussi n’est-ce pas leur absence qui m’attriste, mais l’idée qu’il viendra un jour où, si je les désirais, ce serait trop tard. Et, seule, la probabilité que, dans la mort on ne regrette rien, peut atténuer ma tristesse. C’est un grand malheur que notre instinctive croyance à notre liberté, et puisque nous ne changeons rien à la marche des choses, il vaudrait mieux que la nature nous laissât aveugles au débat qu’elle mène en nous sur les diverses manières d’agir également possibles. Malheureux spectateur, qui n’avons pas le droit de rien décider, mais seulement de tout regretter !

Parfois, dans ce désarroi de mon être, d’étranges images montaient du fond de ma sensibilité que je ne systématisais plus.

Il était six heures ; depuis trente minutes peut-être nous n’avions pas ouvert la bouche. Je me pris à rêver tout haut dans cette chambre éclairée seulement par le foyer :