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UN HOMME LIBRE

morale et la solitude nue de cette chambre, je projetai hors de moi-même ma conscience, son atmosphère et les principales idées qui s’y meuvent. Je matérialisai les formes habituelles de ma sensibilité. J’avais là, campés devant moi comme une carte de géographie, tous les points que, grâce à mon analyse, j’ai relevés et décrits en mon âme :

D’abord un vaste territoire, mon tempérament, produisant avec abondance une belle variété de phénomènes, rebelle à certaines cultures, stérile sur plusieurs points, où des parties sont encore à découvrir, pâles indécises et flottantes.

Par-dessus ce premier moi, je vis dessinées des figures frémissantes qui semblaient parler. Ce sont les maîtres que nous interrogions à Saint-Germain, devenus aujourd’hui une partie importante de mon âme.

Je vis aussi de grands travaux accomplis par des générations d’inconnus, et je reconnus que c’était le labeur de mes ancêtres lorrains.

Or, tous ces morts qui m’ont bâti ma sensibilité bientôt rompirent le silence. Vous comprenez comment cela se fit : c’est une