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UN HOMME LIBRE

isolé, et pourtant des forces sommeillent en moi, et pas plus que ma race, je ne saurai les épanouir. »

Dans cette vieille salle, le silence me pénétrait d’angoisse. Je sentais bien que ce n’était que de l’inaccoutumé, que tout ce décor était en somme de bonté. Dans la nuit répandue, la Lorraine m’apparaissait comme un grand animal inoffensif qui, toute énergie épuisée, ne vit plus que d’une vie végétative ; mais je compris que nous nous gênions également, étant l’un à l’autre le miroir de notre propre affaissement.

Pour rendre un peu sien un endroit qu’on ignore, où l’on n’a pas sa chaise familière, son coin de table, et où la lampe découpe des ombres inaccoutumées, le meilleur expédient est de se mettre au lit. Ce sans-gêne réchauffe la situation. Mais je n’osais appuyer ma joue sur ces draps bis ; tout mon corps se sauvait en frissonnant de ces rudes toiles, où, solide et confiant en moi, je me serais brutalement enfoui au chaud.

Alors je rentrai dans mon univers. Par un effort vigoureux que facilitaient ma détresse